La CCC, mon premier vrai ultra

100 kill sans mourir.

Fin août à Chamonix. Avant à l'époque de l'alpinisme, ce weekend était le moins fréquenté de l'été. Aujourd'hui c'est l'événement majeur de l'année, les rues sont bondées de coureurs arnachés prêts à en découdre, Chamonix est la capitale mondiale du trail. L'UTMB n'a pourtant rien d'extraordinaire, le Tour du Mont Blanc affublé d'un superlatif "ultra" qui tient du marketing et de "trail" pour attirer les estrangers n'est rien d'autre qu'une marche rapide qui consiste à faire le tour de la montagne à une vitesse moyenne de 4 ou 5 km/h. La preuve de la dimension relative de l'épreuve est celle de la Petite Trotte à Léon qui emmène les hommes les vrais pour une virée de 300km. Pour ceux qui préfèrent les plus courtes distances, l'organisation propose plusieurs autres balades, la TDS et ses 119km, la CCC et ses 100 km et la petite OCC un sprint de 53km. Modestement ambitieux, j'ai voulu me mesurer au nombre rond.

📷 La CCC, mon premier vrai ultra | 100 kill sans mourir.

La CCC pour ceux qui ne connaitraient pas

La CCC c'est la petite soeur de l'Ultra Trail le plus connu de tous ceux qu'on connait : l'UTMB. L'UTMB, si jamais vous débarquez de Mars, c'est 167km et 10.000m de dénivelé positif. Pour la CCC, on parle de seulement 100km et 6000m de d+.

Pour y accéder il faut justifier d'une certaine expérience, un nombre de points équivalents grosso modo à avoir fini une course du même ordre que la CCC ou deux courses de ~70km en montagne. Pour mon cas, le Grand Trail des Templiers 2013 et la SaintéLyon 2013 ont fait l'affaire et m'ont permis de pouvoir m'inscire à l'édition 2014.

Départ de Kurt-Maïeur, passage par Champex, arrivée à Chamonix. La partie à gauche du massif du Mont Blanc c'est pour les grands.

le profil de la Course. On n'est pas mécontent que la Tête de la Tronche se trouve au début plutôt qu'à la fin... On voit aussi nettement que les premiers 50km sont assez faciles et que la vraie course commence après Champex, avec les montées de Bovine, Catogne, et Tête aux Vents.

► Le départ

Je sors du bus vers 7h30. J'ai pris le temps d'avaler mon petit déjeuner dans la navette qui nous achemine tous depuis Chamonix. Je fais un petit tour rapide dans le centre ville de Kurt-Maïeur, puis je m'installe sur une terrasse juste devant la ligne de départ. J'envoie un SMS à Eric qui est censé arriver avec KK et Damien pour assister au départ. Pas de réponse. Toujours pas de nouvelles lorsque le speaker invite chaque coureur à rejoindre son sas de départ. Cette année, il y aura 3 vagues espacées de 10 minutes pour réduire les bouchons à l'amorce du premier sentier.

8h35, toujours pas de nouvelle d'Eric. J'entre dans le premier sas, puis c'est l'attente. Tout le monde est prêt, les coureurs discutent entre eux mais la tension est palpable. Je me suis mis tout à l'arrière pour avoir le temps de profiter du départ... et la musique bien connue se met en marche. Je n'ai jamais été très ému au départ d'une course, mais pour la première fois j'ai des frissons. Je pense à Olivier qui partira à 16h00 pour la grande boucle, les sensations doivent être dingues.

On s'élance ainsi tous, ou en tout cas les quelques 600 du premier sas sous les applaudissements de la foule, et je profite au maximum du moment en regardant partout, tentant d'en prendre autant que possible pour moi. C'est génial. A ce moment au bout d'une centaine de mètre je vois Eric :). Je m'arrête, lui dis 2-3 mots et un "je vous attends à Champex, vous avez de la marge, tâchez d'être là!".

Voilà c'est parti, à dans 100 bornes...

Après une petite boucle dans Kurt-Maïeur on attaque le plus gros dénivelé de toute la course (1400m d'un coup), la montée à la Tête de la Tronche. Je reprends quelques places sur la route en début de montée le temps de m'échauffer puis très vite le trafic devient trop dense pour pouvoir faire autre chose que suivre l'allure du peloton. On aura tout le loisir de doubler plus tard. Dans la montée je me trouve calé pendant un certain temps derrière une nana qui porte des guêtres avec un motif panthère. C'est assez original et j'en profite pour entamer la discussion avec elle. Panthère aimerait mettre moins de 20h pour boucler les 5km. Mon objectif est mesuré différement, terminer dans le premier tiers de la course. Sur les éditions précédentes, ça me donne un chrono estimé à 20-21h.

Tête de la Tronche ► 10.4km

Je viens de basculer au sommet, on est tous content d'attaquer la descente. Au loin le bout de la vallée et le Grand Col Ferret légèrement sur la droite. On y serra dans 3h00

A l'arrivée au sommet, tout le monde jubile. Après 2h de montée, on peut enfin courir. Je profite un moment de la superbe vue avec quelques autres coureurs en prenant quelques photos, puis j'attaque la descente. Dans ma tête c'est vraiment ça, j'attaque la descente. Le sentier est très roulant et ludique, il longe une crête qui rejoint tranquillement le refuge de Bertone : 30 minutes de jeu où les coureurs rapides en profitent pour doubler.

Dans la descente vers Bertone, la vue est magnifique. C'est pour ces sensations que je fais du trail.

Dans les derniers lacets avant d'arriver à Bertone, je reviens sur un mec qui s'autofilm à la gopro. Les quelques-uns qui ont déjà fait un trail avec moi savent que j'ai tendance à parler à la moindre occasion. Je lui demande donc s'il veut que je le film en tenant l'appareil.
"Tu veux que je te film". 2 fois. Plus fort "Hey je te film si tu veux". Pas de réponse. J'insiste mais pas de réponse. J'en conclus qu'il y a deux options : soit il est sourd, soit he dont understand.
Je demande alors à un spectateur sur le bord, si le gars est français (c'est censé être marqué sur le dossard que je ne vois pas).
"Ah bâ non il est japonais".
Je ris, puis je refais une tentative en anglais et le mec réagis. Sauf qu'il pense que je voudrais qu'il me filme moi...! Rhaaaaaa!
"No no no, me film you".
Mais il déclime poliment ma proposition.

Premier fail interactif. En fait, je passerai mon temps à oublier que sur la course il n'y a peut être que 40% de français.

Bertone, Bonatti, Arnuva ► du 14km au 27km

Bertone, 14.7km

J'arrive au premier ravitaillement, ça fait 3h de course pour 15 bornes. Ca donne une bonne idée de ce qui m'attend. Sans plus réfléchir, je fais un arrêt éclair pour manger une banane et un verre de coca puis j'enchaîne sur le long balcon qui mène a Bonatti.

La vue est superbe sur les glaciers. Le plafond nuageux est un peu bas, mais quelques éclaircies et le soleil permettent quand d'apercevoir les glaciers qui descendent des sommets. De toute la course je ne verrai cependant pas le Mont Blanc, soit parce qu'il était caché par les nuages, soit parcequ'il n'aurait pas été visible de toute manière.

Sur les 10 km de plat roulant qui mènent à Bonatti puis à Arnuva, j'ai un peu de mal à courir et relancer. Je cours mais je dois faire un effort. C'est après la course que je comprends: l'altitude. Ce passage se déroule à ~2000m d'altitude et le bon parisien que je suis aurait bien mangé quelques globules.

La longue partie en Balcon entre Bertone et Bonatti est splendide, roulante, avec une sublime vue sur les glaciers.

Bonatti, 22.1km

Second ravito à Bonatti. Sachant qu'Arnuva n'est qu'à 5 km, je crois que je ne m'arrête pas, je crois, je ne me souviens plus. J'y étais passé à l'occasion d'un voyage de presse il y a deux ans. A l'époque j'avais mon gros réflex et je cherchais quelques randonneurs à épingler en premier plan des glaciers. Aujourd'hui au refuge, des gens mangent un bon plat sur la terrasse, et nous on bave.

En descendant du Col de Malatra en direction du refuge Bonatti, en juillet 2012. Voir mes photos du Val d'Aoste.

Un peu avant Arnuva, je remonte sur un gars en Hoka Stinson comme bibi, on discute et on devient genre pôtes puisqu'on a les mêmes godasses. Il faut pas grand chose pour se faire un copain, c'est simple la vie en trail.

Ravito d'arnuva, 27km

Encore une fois je fais un arrêt éclair, pas plus de 3 minutes. C'est probablement une erreur de débutant sur une longue distance, et je comprendrai plus tard que sur un 100km il faut plus que manger quelques gels, des bouts de banane et 2 morceaux de fromage.

Grand Col Ferret ► du 27km au 32km

On commence tout juste la montée. Derrière la moraine du glacier qui devait descendre dans la vallée il y a 100 ans

Le Grand Col Ferret est le deuxième vrai beau col du parcours. Il marque la frontière avec la Suisse et culmine à 2537m. Ca fait donc à peu près 800m de montée depuis Arnuva.

J'y vais tout doux. Enfin le rythme que j'ai choisi est juste en dessous de celui des gens qui m'encadrent, du coup je génère un petit peloton avec une dizaine de coureurs derrière moi. Je ne sais pas si je suis trop lent pour ma position, ou si ça convient à tout le monde, mais ce petit train ne finit par exploser que sur le replat avant d'arriver au col proprement dit. Bâtons, incontournables et définitivement adoptés pour les futures courses de montagne même courtes.

Dans la montée du Grand Col Ferret, à la tête d'un petit peloton. Personne double, c'est moi qui commande!

Je prends aussi le temps de faire des photos du Val Ferret, des glaciers, des coureurs qui montent avec moi, pretextant aussi les pauses qui vont avec. Il faut évidemment s'employer, mais je suis globalement bien et les arrêts que je m'offre de temps en temps, de quelques secondes seulement pour l'appareil, sont agréables.

Le Val Ferret vue depuis la montée. Ici on n'est toujours qu'au début de la montée.

Le col arrive. Je relance déjà un peu sur le faux plat juste avant le col et je reprends les quelques coureurs qui m'avaient doublé dans la montée. C'est surtout bon pour le moral mais cela ne change pas grand chose mais car à ce moment de la course tout le monde est au même rythme.

Grand Col Ferret, 32km

Comme à chaque fois lorsqu'un col est passé on bascule sur un autre sport. De la marche, on reprend la course et tout le monde est bien heureux de changer de rythme et accueille la suite avec plaisir: la descente !.

Début de la longue descente de 10km jusqu'à La Fouly.

Je suis content de courir et je me lache. Je tente même d'envoyer un peu, pour tester mais aussi parce que je sais qu'il y a 10km de descente jusqu'au prochain ravito. J'ai envie de reprendre des places sur ce terrain qui me convient mieux. Du coup, je double franchement et j'ai beaucoup de plaisir.

Je ne me souviens pas de ce photographe, sans doute près de la Peule

A mi-chemin se trouve la ferme auberge de La peule et pendant un moment je crois que c'est la Fouly. J'hésite d'autant plus que l'Italien devant moi semble sûr de lui. Mais non. Je continue sur le même rythme sur ce sentier hyper roulant sans imaginer ce qui va m'arriver.

A quelques kilomètres de La Fouly peut-être 3-4, mon ventre gargouille, je commence à avoir faim. Ok donc voilà j'ai faim. Je suis toujours en forme, j'ai juste faim. Je me dis que je mangerai à la Fouly car je n'ai pas envie de gel ni de ma compote spéciale préparée pour la course. En fait je sature un peu du sucré et j'ai envie d'un morceau de fromage et d'une soupe. Je repousse donc l'échéance en me disant que je peux bien attendre 20 minutes. Héhé, en fait je vais le payer.

A peine plus loin dans l'endroit le plus pentu, j'ai un coup de barre. Mais un vrai coup de barre qui m'arrête net comme je n'en avais jamais connu avant. Plus de jambes, plus de force au point de vouloir juste m'assoir et m'arrêter. Je marche dans la descente (c'est totalement improbable pour moi), je me fais doubler par les mm gars que j'avais déposés auparavant. C'est sans aucun doute une fringale. Je me force à prendre un gel et j'arrive quand même à trotinner sur les segments de bitume qui mènent au ravito.

La Fouly ► 42km

À la Fouly il reste encore plus de la moitié de la course. Je décide donc de prendre un peu de temps pour manger correctement (évidement), mais plus simplement pour faire une pause. Je prends une soupe, puis une seconde, une banane, deux ou trois barres overstim de tous les goûts, du salé, une nouvelle soupe. Bien rassasié et peut-être un peu trop, je sors du ravitaillement et reprends la course en petite foulée.

J'ai bien conscience qu'il me faudra digérer. Je ne suis pas au mieux, mais je prends sur moi sachant que dans ~ 45min je devrais être de nouveau opérationnel. Aussi évidemment, avec le ventre plein et la ceinture du sac et celle du porte bidon, la digestion est contrainte. J'arrive à courir mais je sens bien que l'estomac travaille. Un peu plus loin je croise un gars qui remonte en courant, quelque chose comme un Danois. Il a oublié ses bâtons à la Fouly le con.

Je trouve cette partie un peu longue. Le sentier est globalement plat, légèrement descendant et majoritairement ennuyeux. La forme revient progressivement et avec elle le plaisir. La fin de cet épisode malheureux se conclut par une pause technique, de la famille accroupie, planté à quelques mètres du sentier en hauteur dans la forêt. Caché là pendant une minute, je regarde les coureurs passer et je vois la panthère qui semble en forme. Je n'avais plus pensé à mon objectif, et je me dis que je suis toujours dans les clous si elle vise encore 20h.

Hè les gars, on se remet à courir au niveau du poteau là.

À Prat de fort (50ème km) je suis mieux et le mauvais épisode est du passé. Je discute avec les coureurs (c'est clairement un indicateur de bonne forme chez moi), je blague avec d'autres gars. On joue à ce jeu que j'appele "quand qu'on court".
"on recommence à courir au niveau de la maison, au pont, au panneau en bois"
En fait je vais beaucoup mieux car je pourrais courir sans hésitation, mais je veux encore gérer car le plus dur reste à venir en terme de dénivelé ET nous n'en sommes qu'à la moitié.

La montée sur Champex se passe bien, au train avec les même gars du jeu du "quand qu'on court". On arrive au Ravito de Champex.

Champex ► 56km

Ce ravito est énorme, je veux dire que c'est le super marché du ravito.

Les familles peuvent entrer puisqu'ici les coureurs ont droit à une assistance. Pour ma part je n'ai personne et c'est même un peu perturbant de devoir attendre derrière une "maman" prenant soin de son coureur. Je fais ainsi la queue derrière une femme qui demande là du coca, ici une soupe, ailleurs du saucisson mais sans la peau.
Une autre revient en changeant d'avis et en disant "ah bâ non en fait il veut juste de l'eau gazeuse, j'avais pas compris".
Je me dis que ça ne doit pas forcément aider les coureurs...

Je pense alors à Eric et sa clique à qui j'avais donné rendez-vous ici. Je cherche de l'autre coté où se trouvent les spectateurs, pour voir si je les aperçois. Personne. Bon bâ ils ont du zapper ou se perdre.

Je mange encore, je veux me preparer correctement pour la nuit qui m'attend. Je sors ensuite du ravito sur le bord du lac, et je relance direct. C'est une très bonne nouvelle, j'ai envie de courir et je n'ai aucun mal à le faire!

A peine 200m après la sortie du ravito, j'ai une bonne surprise. Mes potes m'attendent là, je vois Damien au loin dans la courbure du bord du lac. Je fais des grands signes qui déclenchent le branle bas de combat chez eux.

Merde c'est Vincent, vite les photos!

Je vois mes potes et ça me fait bien plaisir.

J'arrive à leur niveau, ils me mitraillent pensant que je n'allais pas m'arrêter :). Evidemment je suis bien content de les voir et je m'arrête, on discute. Je refais même une arrivée en courant pour la photo, on échange quelques mots sympas et décalés vu la situation :
Eux : "Alors ça va t'es fatigué?"
Moi : "Vous avez trouvé facilement"
Eux : "Ba tout à l'heure il pleuvait un peu, ça caille"
Moi : "Bon ba si vous êtes motivés et que vous ne savez pas quoi faire cette nuit j'arrive vers 5h à Chamonix"

Je repars ensuite accompagné de KK qui me film à la GoPro jusqu'au bout du lac.

Bon là je dois le dire, j'ai du faire une seconde prise pour ressembler à un coureur...

Coucou les copains!

Bye Bye les copains!

Encore quelques mètres dans les voitures avant de reprendre le chemin des sentiers.

Sur la partie du circuit qui mène au pied de Bovine, je suis bien. C'est un vrai plaisir, je remonte des coureurs. Je retrouve mon camarade d'Arnuva en Stinson. Il n'est pas bien, il me dit qu'il n'arrive pas à respirer. J'essaie de le tirer, de le motiver, mais il lâche très vite dans le faux plat avant l'attaque de Bovine.

Montée de Bovine ► du 61km au 67km

Bovine. On m'avait dit qu'elle fait mal, alors je m'y mets en douceur. Ma technique dans ces cas là, ne pas trop souffler et ne pas me faire mal aux jambes. LOL, c'est comme si on disait "c'est pas difficile, il suffit de ne pas se fatiguer". A vrai dire, la seule manière de faire est de rentrer dans sa bulle, de maintenir un rythme soutenu, et d'en garder un peu. En fait je crois que j'aime ça. Le mouvement répété, l'abstraction de l'environnement, le temps qui disparait et ne plus penser.

Devant moi, un gars monte sans bâtons. Il marche comme ces promeneurs qu'on voit parfois déambuler, les mains nonchalamment croisées dans le dos. On a l'impression qu'il se balade. Le sentiment est accentué par ses grandes foulées. Son rythme me convient, un chouilla en dessous de ce que je pourrais faire en forçant, le rythme presque idéal.

En traversant un petit ruisseau qui coupe le sentier, on s'arrête pour mettre la frontale. La nuit est tombée. Il pleut beaucoup, ou par intermittence. Oui il s'est mis à pleuvoir mais je ne m'en suis pas rendu compte. Cela ne me gêne pas car il ne fait pas froid. Je ne vais d'ailleurs pas utiliser ma veste juste ma polaire en peau de souris à partir de Trient.

Le gars devant s'appelle Filipo. Sur la butte au sommet et avant de redescendre sur Trient, un autre gars s'intercalle. Lui il est anglais et s'appelle Simon.
Un peu avant le sommet, le terrain se repose et on discute un peu. C'est sur-réaliste, l'Italien, l'Anglais et le Français essayant de deviner le nom de cette ville sans doute suisse qui éclaire toute la vallée.

J'ai trouvé c'est Martigny.

On se retourne aussi pour voir les frontales des coureurs qui montent Bovine derrière nous. On trouve ça beau, on s'émerveille, on est bien en fait comme trois vieux potes; c'est sans doute un des meilleurs souvenirs de la course.
Dans la descente, je relance. On laisse Felipo qui fait une pause pipi et Simon me suit. On continue à discuter, puis naturellement lorsque ça devient plus technique on se tait. En effet, la boue est bien présente et il faut être concentré. L'Angliche et moi on aime ça. On a un bon rythme et c'est assez cool de descendre ainsi à deux, un binôme improbable vers Trient.

A un moment, le sentier devient moins raide et je pense arriver au ravito. Mais en fait non, il faut encore pousser sur 1 ou 2 km en balcon descendant. Simon profite du croisement pour faire une pause technique à son tour et je lui dis qu'on se retrouve au ravito qui ne doit plus être très loin. Comme une loi des séries, je fais moi aussi un arrêt quelques minutes plus tard lorsque j'arrive à Trient.

Trient ► 72km

J'ai à peine le temps de commencer ma soupe que Simon entre au ravito. C'est la première fois que je le vois en pleine lumière, car avant on ne se voyait que de dos ou éblouis par nos frontales. Je le vois donc vraiment pour la première fois. C'est drôle c'est un barbu hirsute et il ne ressemble pas du tout à l'Anglais qu'on peut imaginer. On discute.

Je me ressers en soupe, barres de fruits, puis je fais la connaissance de Felipo qui arrive 5 minutes après nous. On décide de repartir ensemble. Je fais le ménage des qqs gravillons récoltés dans mes chaussures, je mets ma polaire légère. Avant de partir je trouve la panthère assise sur un banc. Elle n'est pas du tout en forme et j'essaie de la motiver. Elle n'a plus de jus, n'a pas envie de manger. Je tente de la raisonner en étant cash : "Ecoute tu n'as pas le choix, tu te forces à manger c'est tout, tu sais bien c'est comme ça, ça ira mieux dans 30 minutes". Je ne sais pas si elle a fini...

En sortant de Trient, assez vite Felipo accuse le coup "I am tired guys, I need to go slow". On ne le reverra pas. Du coup avec Simon on file sur un bon rythme mais assez vite ce dernier s'échappe dans la montée de Catogne. Il est un cran au dessus.

Nouvelle montée de col, nouvelle vie, j'entre dans ma bulle. Cette fois je suis seul. Je crois avoir trouvé mon allure dans les montées. Les bâtons sont aussi ma plus grande richesse. Sans eux je n'aurais pas été si bien. Je gère mon cardio, je pousse beaucoup sur les bras, j'équilibre mon corps, je respire amplement et j'essaie d'être le plus efficace possible. Les jambes suivent, je suis un diesel et j'avance. A part Simon qui me distance progressivement, personne ne me double. Je remonte un gars ou deux.

Dans la descente sur Valorcine, c'est reparti. Sur la première partie le sentier est très glissant et mes Stinson arrivent vite à leurs limites et révèlent leur point faible bien connu: elles sont totalement instables sur terrain gras. Je reste concentré et j'évite la chute à plusieurs reprises, puis cette zone passée je relance assez bien. Je prends aussi le temps de bien boire, je mange une pâte d'amande, par sécurité. Sur un replat je marche pour allumer mon téléphone et tenter de capter le réseau français. Je reçois plusieurs sms d'encouragement, ça fait du bien. En fait je suis encore très lucide, j'échange avec les gars que j'accompagne, quelques mots "ça va", "ça roule", "see you later", échanges du regard, signe de la main, hochement de tête.

En fait, depuis quelques heures, j'évolue plus ou moins avec les mêmes gars. On change de position entre ravitos, montées, descentes selon nos sensations. Je continue en forme dans la descente, petit "allez les gars" quand j'en reprends certains, d'autres me doublent, motivation échangée, c'est génial.

Vallorcine ► 83km

Au ravito de Vallorcine, je retrouve Simon le Glaouiche, il s'apprête déjà à repartir. Je le prends en photo car je pense que je ne le reverrai pas, ou peut-être seulement à l'arrivée. Alors j'ai besoin de son nom et de son numéro de dossard, au cas où.

Avant de repartir, je prends mon téléphone pour informer mon Père comme j'avais prévu de le faire. L'idée est qu'il soit à l'arrivée, lui laisser le temps de se réveiller. Je lui avais dit "Je t'enverrai un sms en arrivant en France, à Vallorcine. De là, il me faudra 3-4h pour faire les 20km restants..."

Le fameux message. Je crois avoir lu la réponse en rallumant le téléphone à La Flégère.

Je sors du ravito bien décidé d'en finir, et plutôt en bonne forme encore. Je cours sur presque toute la remontée vers le col des montets, un faux plat très roulant qui longe en partie la route. Je double 2 gars qui marchent 1km après vallorcine, ils discutent. Je tente de les motiver, mais ils préfèrent marcher. Je rattrappe un autre gars avec qui j'ai fait une partie de la descente sur Vallorcine et on arrive ensemble au col. Lui ce gars là il a une histoire intéressante : il a eu la maladie de Lyme et son médecin lui interdit de courir trop longtemps...

La montée vers la Tête aux Vents ► du 86km au 91km

Je connais la suite pour y être passé en juin lors des 80km du Mont Blanc. Le raidard de la Tête aux vents, le mignon. J'y étais monté à mi pente peut-être, pour aller shooter les leaders de l'épreuve, Luis Alberto et François d'Haene. Je sais donc ce qui m'attend, une vrai montée de col : pentu avec des marches, technique, pentu, technique et pentu, long et épuisant...

Luis Alberto Hernando à fond les ballons dans la descente de la Tête aux Vents. Et bien dans l'autre sens, de nuit, et avec 85km dans les pattes c'est assez différent... Photos des 80kms du Mont Blanc

En fait c'est horrible. Jusqu'à présent je pensais avoir assez bien géré ma course malgré le coup d'hypo de la Fouly. Mais là. Comme si mon corps venait de décider que c'était maintenant que j'allais en chier, il decide d'en chier. Et donc oui j'en chie.

Je suis surpris de la vitesse à laquelle c'est apparu. Je trotinais en sortant de Vallorcine, et voilà que cette montée j'en compte chaque pas. Un pas, un autre, un autre, un autre, encore un autre, puis un autre et un autre. Le sentier devient de plus en plus pentu, ou penché je ne sais plus. Penché et pentu de travers, et puis une partie de marches, puis une zone super raide entre les rochers, puis encore des marches, puis des sortes de lacets mais en superpentu, et des marches de travers, des marches trop hautes, et des frontales devant qui n'ont pas l'air de beaucoup avancer. Personne me double, et pour le coup ça peut rassurer. Mais en même temps je ne double personne.

Donc ce n'est pas fini et de toute manière c'est pas fini, ainsi je continue.
Alors je passe en auto-hypnose : Vincent, marche!
Une demi éternité ça reste une éternité. J'arrive au replat avant Tête aux Vents et le terrain change. Ils ont posé de gros rochers glissants pour compliquer la progression et allumé la pluie juste dessus pour rigoler.

Et là je vais mieux. Voilà. Je n'ai pas bien compris ce qui s'est passé, j'arrive à relancer et à doubler les frontales que je vois depuis le bas du col. C'est le début de ma plus belle remontée sur toute la CCC.

Tête au Vent n'est pas encore là, il faut encore traverser un plateau parsemé de ces rochers glissants, limite casse gueule. Sur toute cette partie je dois manger une dizaine de coureurs jusqu'au contrôle de Tête au vent. De là je vois les lumières de La Flégère, au loin au bout d'une descente! Enclenche Vincent!
Je continue ma remontée. Je suis évidemment fatigué, mais cette étrange motivation me pousse à doubler les coureurs. C'est ce qui se passe, j'en reprends plein et alors que cette montée sur Tête aux Vents me semblait un calvaire, je gagne 50 places depuis Vallorcine!

La Flégère ► 94km

La Flégère. Arrêt rapide, j'ai envie d'en finir. Je mange je ne sais plus quoi et je file. Je connais la suite, je l'ai descendue fin juin sur le Marathon du Mont Blanc mais ici par contre, je suis tout seul. Au début de la descente je suis à fond, excité par l'envie d'en finir, d'arriver, de voir Chamonix. Dans les lacets de la forêt et jusqu'à la maison dont j'ai oublié le nom je me cale derrière un gars qui semble accélérer lorsque je me rapproche trop, comme si il ne voulais pas que je le double, mais en même temps ne pouvant pas vraiment me distancer. On reste donc ainsi et je commence à savourer la fin, sans plus d'enjeu, en trottinant doucement. Evidemment, nous sommes fatigués, ou plutôt lassés comme si notre esprit laissait le corps prendre le dessus. Peu importe c'est la fin. Deux gars nous doublent, l'autre devant essaie de répondre mais peine perdue.

Je le dis à chaque fois, c'est toujours amusant de voir que sur la fin on essaie toujours de gratter ou conserver la position où nous sommes, à la ridicule place de 400ème :)

L'arrivée!

Voilà. la course se termine. J'entre dans Chamonix et il reste 2km. Je prends mon temps. Je me prépare, je veux savourer ce long moment du final. Il fait encore nuit, il est tout juste 5h du matin. Quelques personnes courageuses applaudissent sur le bord de la rue et je leur dis merci. C'est étrange, je n'ai pas de sensation de victoire, ni de soulagement, je suis juste hyper lucide. Je rentre d'une longue marche, d'un voyage en montagne, de rencontres impromptues, et à l'entrée de Chamonix l'aventure est déjà fini. Il n'y a personne le long de la rivière, et pourtant je me concentre pour bien finir, sur ma foulée et mon corps, juste pour mon plaisir et le geste. Je vois un coureur à 50m devant moi, un autre derrière, puis je descends la rue principale encore caché des 50 derniers mètres avant l'arrivée.

C'est drôle je n'ai pas de sensation et je lève les bras presque machinalement. Je ne comprends pas lorsque je lis que certains coureurs pleurent à l'arrivée des courses. Je vois mon Père et mes potes sur la ligne, et ça me fait plus plaisir que véritablement de finir cette course. Mon souvenir est déjà derrière moi dans la montagne.

My race partner Simon and myself.

Je suis aussi très surpris de retrouver Simon qui m'appelle à peine la ligne franchie. C'est super sympa. Il est là depuis 20 minutes et il a attendu que j'arrive, bière à la main. Il a du super bien finir, je le pressentais il avait la forme. On discute un peu, j'explique que j'ai partagé 4h de course avec lui. Filipo le troisième larron finira lui 34 minutes derrière moi.

La fatigue tombe d'un coup, ou le temps de savourer seul ce que je viens de faire.

Après course

En mai et juin, j'étais très inquiet quant à ma participation à la course. Périostite en avril, arrêt de la course pendant 2-3 mois, reprise de l'entrainement début juin. Ma préparation s'est plutôt bien déroulée en enchaînant plusieurs courses sans trop forcer. Au final je suis arrivé en août assez bien préparé et sans doute assez frais. Je ne savais pas du tout ce qu'allait donner la course. Je visais comme toujours une position dans le premier tiers, ce que je vaux en général. Résultat ~400 sur 2000, soit un peu mieux que je pensais. J'ai bien eu un petit souci à mi-course que je mets au crédit de mon peu d'expérience sur le long, mais j'ai assez bien fini en passant la seconde moitié de course à remonter. En conclusion, je suis super content de cette première expérience, et je me demande même si je ne suis pas plus apte sur les longues distances. Finalement, je suis surtout un marcheur...

Quelques chiffres

  • 101km, 20h12, c'est tout juste 5km/h;
  • 1h20 d'arrêt sur les 8 ravitos
  • 170 places de gagnées jusqu'à La Fouly
  • 88 places perdues entre La Fouly et Champex
  • 177 places gagnées entre Champex et Vallorcine
  • 50 places gagnées entre Vallorcine et l'arrivée
Point de passageVitesseClassementHeure de passageTemps
0km - Courmayeur--Ve. 09:0300:00:00
10.4km - Tête de la Tronche4,29 km/h707Ve. 11:2802:25:35
14.7km - Refuge Bertone8,14 km/h625Ve. 12:0002:57:13
22.1km - Refuge Bonatti6,83 km/h616Ve. 13:0504:02:17
27.4km - Arnuva7,04 km/h553Ve. 13:50 / Ve. 13:5304:46:52
31.8km - Grand Col Ferret3,55 km/h543Ve. 15:0906:05:39
41.9km - La Fouly7,93 km/h537Ve. 16:25 / Ve. 16:3907:21:42
55.9km - Champex-Lac6,16 km/h625Ve. 18:57 / Ve. 19:1309:53:41
67.1km - La Giète5,09 km/h492Ve. 21:2512:22:26
72.0km - Trient6,51 km/h474Ve. 22:10 / Ve. 22:3213:06:57
77.4km - Catogne4,02 km/h452Ve. 23:5414:50:53
82.5km - Vallorcine5,25 km/h448Sa. 00:52 / Sa.01:0815:49:13
90.3km - La Tête aux vents3,63 km/h415Sa. 03:1518:12:28
93.8km - La Flégère4,47 km/h398Sa. 04:0319:00:05
101km - Chamonix5,92 km/h398Sa. 05:1620:13:16